Qu’est-ce que cela représente d’avoir organisé une World Series en France ?
Sami El Gueddari : C’est la continuité de l’évolution de la natation handisport française sur la scène internationale. Cette nouvelle étape franchie traduit les ambitions de la France, elle veut y jouer un rôle important. Cela passe par l’organisation de World Series. Compter dans les bassins est une chose, devenir acteur majeur de la natation paralympique en est une autre. De telles organisations y contribuent. Cela envoie aussi un message à l’ensemble des athlètes français, quant à un changement de dimension de la FFH, du staff et de l’ensemble de l’équipe. On leur demande de rêver grand et par l’accueil de ces événements, on leur montre que nous aussi, on ne se met pas de limite. Charge à eux de s’inspirer de cette dynamique.
Quels enseignements tirez-vous par rapport aux résultats des Français ?
S E.G : Les leaders, qui avaient déjà réussi les minimas, ont abordé cette Coupe du Monde comme un point de passage dans le cadre de leur préparation pour les championnats du monde. D’autres venaient chercher leur qualification. Tous sont, soit en progrès, soit au niveau de leurs meilleures performances. À cette période de l’année, c’est très intéressant. Emeline (Pierre) nage 1:10.08, sur le 100 m dos. Anaëlle (Roulet) est à 1:10.34, Florent (Marais), lui, est à 1:01.77, Ugo (Didier) affiche 1:00.49… Au milieu de tout ça, Laurent Chardard ne cesse d’abaisser ses meilleures marques. Il améliore de près d’une seconde son 100 m nage libre (1:04.20). Il stabilise ses perfs sur 50 m nage libre et papillon… Tout ça est très positif. Les leaders se sentent bien et de très belles choses se préparent pour cet été. Les autres nations sont aussi en formes. Cela annonce une très belle compétition mondiale mais j’ai la conviction que les Français sauront tirer leur épingle du jeu.
Que retenez-vous d’autre ?
S E.G : Il y a les retours, comme celui d’Elodie Lorandi, qui accroche un minima B. Elle pourra donc être proposée à la commission de sélection. Et les jeunes qui venaient chercher des minimas. Je pense à Hector Denayer qui nage en 1:08.85 au 100 m brasse. L’an dernier à la même période, il était en 1:15. Avec ce nouveau temps, il se classe deuxième à la ranking, tant pour celle de 2022 que pour celle de 2023. En un an, il est devenu un candidat sérieux à un podium international.
Puis, il y a les jeunes qui ont performés aux Mondiaux l’an dernier et qui se préparent pour Manchester. La période de travail est un peu plus difficile à digérer mais Agathe Pauli, Solène Sache, Léane Morceau sont avant tout attendues à Manchester. Elles vont pouvoir s’ajuster, fortes des enseignements pris sur cette compétition. Elles doivent travailler encore et croire en elles mais cela est plus facile quand on est entouré par des leaders qui performent et savent partager.
Enfin, je retiens aussi la génération suivante. Celle des 16, 17 ans. Je pense à Zia Le Helley, titrée trois fois en jeune sur la World Series, Nolan Jalby ou encore Alexis Bellanger, eux ont signé plusieurs podiums sur les épreuves jeunes. C’est un point central de notre projet. Tout ce monde forme un bon mélange.
Combien allez-vous proposer de sportifs à la commission de sélection ?
S E.G : Quinze seront proposés. En 2017, à Mexico, on était cinq, neuf à Londres, onze à Funchal l’an dernier, et là potentiellement, on pourrait monter jusqu’à quinze.
Quels sont les intérêts sportifs ou extra sportifs de mêler cette coupe du monde aux championnats de France ?
S E.G : Il y a trois axes. Le premier, les sportifs, sur le territoire français, n’ont pas toujours des nageurs ayant le même handicap, évoluant sur les mêmes spécialités et dans la même classe de handicap pour s’identifier et apprendre. Le mimétisme et l’observation de ses pairs comptent. Comme le fait d’avoir des modèles pour s’en inspirer. Pour beaucoup de jeunes, c’est une prise de conscience de ce qu’il faut mettre en place par rapport au gabarit, au physique, à la manière de s’entraîner. Ils ont pu les voir s’entraîner et s’échauffer mardi, mercredi et jeudi. Ils les ont vus nager, ils sont à côté d’eux. Tout ça aide à prendre conscience des exigences du haut niveau, sans se cacher, ni se chercher d’excuses. Il n’y a qu’une réalité : le travail.
Le deuxième point concerne les entraîneurs de clubs qui voient fonctionner les équipes nationales et qui voient aussi un panel de handicaps encore plus large. Ils sont là, au contact, donc ils peuvent voir les échauffements, les exercices techniques… Cela peut débloquer de nombreux verrous : parfois ils n’osaient peut-être pas proposer certains exercices… Ça peut aussi impulser quelque chose de très fort au niveau de la prise en compte du handicap mais surtout de l’accompagnement de celui-ci, dans le cadre d’un projet de haut niveau à ambition internationale ou nationale. Certains des nageurs qualifiés au France pourront viser très haut, d’autres non en raison de certaines prédispositions, des capacités physiques et mentales… Beaucoup rêvent du très haut niveau, il y a peu d’élus. L’essentiel est de savoir ce qu’il faut mettre en œuvre pour y prétendre.
Enfin, il y a aussi un intérêt pour les officiels et les classificateurs. Échanger avec le délégué technique de la Fédération internationale, qui sera aussi celui des Jeux, est une source d’enrichissement et de progression, de partage et d’évaluation des standards des compétitions internationales pour les athlètes français. Cela peut éviter des disqualifications au niveau international parce qu’ils seront formés au plus près. Ils peuvent se nourrir de points de précision sur le plan réglementaire, de mieux cerner certaines interprétations de ce même règlement. Tout le monde progresse et ça rejaillit sur l’ensemble de la pratique.
Accueillir de tels rendez-vous permet aussi aux Français de nager devant leur public, leur famille à un an des Jeux de Paris…
S E.G : Ce sont de bonnes répétitions en matière de scénographie, d’entrée sur un bassin, en matière de public. Nous étions à guichets fermés le vendredi et les tribunes de l’Aquapolis de Limoges étaient aux trois-quarts pleines samedi et dimanche. Le bassin faisait plaisir à voir. Il y avait beaucoup d’ambiance et de bruit. Cela n’a rien de comparable avec les Jeux mais on s’en rapproche. Cela habitue donc les Français qui peuvent ainsi se familiariser avec cet engouement. Ils auront vécu ces ambiances, ces moments où le public fait encore plus de bruit pour accompagner l’un deux avant une finale. Ils l’auront vécu grâce à cette World Series et seront donc moins dans la découverte aux Jeux, où tout sera multiplié par dix. Plus on met nos sportifs dans des configurations de haut niveau, mieux c’est. La performance a besoin d’un écrin de haut niveau pour s’exprimer. L’Aquapolis et l’ensemble du décorum mis en place par la FFH, via la cellule événementielle a permis aux athlètes de vivre une expérience digne des plus grands championnats internationaux.
Êtes-vous satisfait du plateau en volume et en niveau ?
S E.G : On a eu de jeunes sportifs venus acquérir leur classification internationale. Ceux-ci sont au début de leur parcours international. On a eu des nageurs aux portes des équipes A, en quête minimas (par rapport à leur nation respective), sur cette dernière étape qualificative pour les Mondiaux. Et il y a eu des têtes d’affiche, comme Alice Tai (Grande-Bretagne.), Islam Aslanov (Ouzbékistan) ou encore Antoni Ponce (Espagne). Il s’agissait pour eux d’une compétition additionnelle dans leur préparation. Une manière aussi de prendre la mesure d’une compétition en France à un peu plus d’un an des Jeux. Il y avait donc de vrais leaders et comme on a la chance, sur ce circuit de coupes du monde, d’être sur des épreuves multi-classes (toutes les catégories de handicap mélangées avec un classement à la table de cotation), avec une quinzaine de têtes d’affiche, le niveau est vite intéressant.
En revanche, vous n’espériez pas des contingents étrangers plus importants ?
S E.G : Nous avions 167 étrangers, 28 pays représentés, parmi lesquels, les États-Unis, le Canada, l’Angleterre, le Japon, l’Australie, l’Espagne, l’Ukraine et l’Ouzbékistan, deux nations fortes notamment chez les déficients visuels. Au niveau des pays présents, on était très satisfait. Moins sur le volume où on attendait mieux même si je me suis réjoui de voir que les teams leaders qui ont accompagné les délégations étaient les Head-Coaches principaux des équipes paralympiques des différentes nations.
Comment expliquez-vous cela ?
S E.G : C’était une première. Je pense que les différentes nations sont venues prendre le pouls de ce nouvel événement. Il n’est jamais facile de se projeter : quel va être le standing, à quoi aurons-nous le droit en termes d’organisation. Pour les pays d’Amérique latine, les États-Unis, le Canada, le Japon… ce sont des coûts énormes. Ils ont donc fait un test.
Comment cette première a-t-elle été reçue par les instances internationales et les sportifs ?
S E.G : Les retours sont très positifs. Je pense, sans chauvinisme et en toute objectivité, que nous n’avons jamais vécu une telle coupe du monde. Elle avait un standing de championnat d’Europe. Il faut sans doute amener des éléments supplémentaires pour qu’elle soit d’un niveau championnat du monde. WPS (World Para Swimming), qui organise ce circuit de Coupe du monde, nous a dit que nous avions surclassé la concurrence en termes d’organisation et que nous étions le nouveau standard souhaité dans toutes les World Series. Ce n’est pas neutre. On a amené la World Series dans une nouvelle dimension. La FFH s’efforce d’être motrice dans la promotion des sports dont elle a la responsabilité. On voulait bien faire à un an des Jeux. On a la garantie de revoir l’an prochain toutes les nations, avec un nombre de sportifs plus importants. Seul le Canada ne sait pas encore parce que le Trial (une de leurs compétitions nationales de qualifications pourrait être fixée sur les mêmes dates). Ce sont des signaux très encourageants sur de nombreux aspects qui nous laissent à penser que nous avons plutôt bien converti cette V1 de la World Series en France.
Ce rendez-vous était aussi un moyen pour le grand public de mieux comprendre la classification ?
S E.G : C’était un élément clé de ce projet. On voulait absolument travailler avec la société Titanium qui a développé un logiciel qui permet d’avoir en incrustation et en temps réel, les points qui défilent de chaque nageur, en fonction de sa catégorie et de la nage. C’est très pédagogique. On comprend ainsi mieux ce que l’on regarde et l’impact de la catégorie sur la performance, indirectement, puisque celle-ci est convertie en points. Ce système est d’autant plus prépondérant sur les Coupes du monde que c’est du multi-catégories. Tous les nageurs sont classés à la table de cotation. On peut donc retrouver un S2, un S10, un S6 et un S13 sur une même finale. Le spectateur, lui, comprend en direct, que le premier qui a touché ne va pas forcément gagner mais garde un vrai intérêt pour la suite de la course grâce à ce décompte de points qui apparaît en temps réel. L‘incertitude demeure jusqu’à la fin.
Quels sont les axes d’amélioration pour franchir un nouveau palier ?
S E.G : C’est de l’ordre du détail mais cela fait toute la différence sur le très haut niveau. On doit repenser la chambre d’appel. Elle était bien mais dans un contexte international était peut-être un peu sous-dimensionnée. On avait quatre séries, comme il y a aux Jeux mais on peut améliorer l’expérience chambre d’appel. Comment créer une bulle pour permettre d’être encore plus concentré et de renforcer le sentiment d’arriver dans une arène. On a déjà des pistes pour la faire évoluer. Toujours dans la chambre d’appel, comment on permet aux athlètes de rester connectés à la compétition (avec des écrans…). Il faudra s’ajuster un peu sur le rétroplanning des engagements, sur la compétition pour faciliter la logistique et ne pas avoir à réagir dans l’urgence.
Rédaction : J. Soyer
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