
©Manon Haab
« Mes parents voulaient simplement que je sache nager, pour ne pas me noyer », raconte-t-elle. Elle a quatre ans, suit son grand frère à la piscine, découvre l’eau, puis s’y découvre elle-même. Très vite, elle comprend qu’ici, tout est plus simple : pas besoin de parler fort, l’eau égalise tout. Diagnostiquée d’une surdité profonde dès la naissance, Manon apprend à composer avec un monde qui ne l’entend pas toujours. « À l’école, j’étais souvent exclue, à cause de mon retard en français. Mais dans l’eau, j’avais ma revanche. Là, je pouvais gagner. » La natation devient son refuge, son terrain de liberté. Puis, un jour, une jeune handisportive lui fait découvrir le monde du Handisport. « Au début, ça m’a fait bizarre d’être dans une fédération de handicaps différents, mais c’était finalement une force. On partage la même passion. Ça m’a donné confiance en moi. »
Le destin de Manon s’est joué lors d’une rencontre, à neuf ans, lors de ses premiers championnats de France jeunes handisport. « J’ai rencontré Cyril Missonnier, un nageur sourd qui avait participé aux Deaflympics 2013. Il m’a raconté son expérience. Ce jour-là, je me suis promis d’y aller, moi aussi. » Promesse tenue : en 2022, au Brésil, Manon participe à ses premiers Jeux. Une expérience qu’elle décrit comme « magique », fondatrice. Aujourd’hui, son objectif est clair : décrocher la première médaille féminine française en natation depuis la création des Deaflympics en 1924. « Les hommes en ont remporté 37, mais aucune femme n’a encore réussi. Ce serait une immense fierté, pour moi, pour la France, et pour toutes les nageuses avant moi. »
Depuis septembre 2024, Manon vit, mange et rêve natation. Sa préparation est millimétrée : compétitions, stages, minimas, travail technique et physique. De Lyon à Font-Romeu, d’Aix-les-Bains à Dijon, elle enchaîne les bassins et les kilomètres, sans pause. « Pas de vacances depuis plus d’un an et deux mois, mais c’est le prix à payer. C’est difficile psychologiquement, mais je sais pourquoi je le fais. » Étudiante en architecture d’intérieur, en alternance, elle jongle entre études, travail, entraînements et musculation – jusqu’à neuf par semaine. « C’est beaucoup de sacrifices. La famille, les amis, tout passe après. Mais j’ai la chance d’être bien entourée : mes coachs, mes proches, mon école, ma région… Tous me soutiennent. »
Sourde de naissance, Manon a dû inventer sa manière de communiquer dans un sport d’écoute. « Ce n’est pas toujours évident. Quand on est nombreux, ou avec des coachs que je ne connais pas, il faut s’adapter. » Mais dans l’eau, tout redevient fluide. « C’est un refuge. Un moment de bien-être, de calme, un lieu où je peux me retrouver. » Grâce à l’innovation technologique, elle a même pu franchir un nouveau cap : « Depuis deux ans, je nage parfois avec un implant cochléaire étanche, qui me permet d’entendre les consignes de mon coach via un micro. Ce n’est pas parfait, mais c’est une belle avancée. » Et pour apprendre ? « Petite, mes poupées Barbie m’ont aidée à comprendre les mouvements et les mots. Aujourd’hui, j’ai des vidéos, des tableaux, des signes. On trouve toujours une solution. »

©Manon Haab
Si Manon porte le bonnet bleu-blanc-rouge avec autant de fierté, c’est aussi pour faire entendre la voix des sportifs sourds. « Le sport sourd manque encore de visibilité. Beaucoup de gens pensent qu’un Sourd ne peut pas faire de sport. C’est faux. Le sport peut aider à s’ouvrir, à se sentir fort. Il faut juste oser. » Elle milite aussi pour que d’autres disciplines, comme le triathlon, intègrent les Deaflympics. « On doit continuer à développer, à sensibiliser. Il y a tellement de talents cachés. »
Dans son bassin, Manon nage le crawl et le dos, le souffle régulier, les gestes précis, la tête pleine de rêves. « Dans l’eau, je ressens une liberté absolue. » Après Tokyo, elle espère enchaîner avec les championnats d’Europe – si un pays accepte enfin de les organiser – puis les mondiaux 2027. Et si elle décroche cette fameuse médaille, elle sait déjà qu’elle ne s’arrêtera pas là : « J’aimerais aussi faire de la sensibilisation, parler de la surdité, transmettre. Et surtout, dire aux jeunes : faites-vous plaisir, rejoignez-nous ! »
Persévérante, humble et inspirante, Manon Haab incarne une génération de sportives qui repoussent les limites du possible. Son rêve dépasse la natation : il parle de courage, de résilience et de fierté. Et dans le calme des profondeurs, quand tout s’efface, il ne reste qu’une voix, intérieure, qui murmure : « Crois en tes rêves, nage pour toi, pour les autres, et pour faire briller la France. »