FFH : D’où est né ce projet de recherche ?
Sami El Gueddari (SE) : au départ, nous nous sommes demandé comment analyser de façon objective les observations que nous réalisions depuis de nombreuses années avec les entraineurs des collectifs France. Des questions ont émergé à partir d’échanges avec des chercheurs venus sur un stage national. Cela nous a permis de préciser nos questionnements et de les retranscrire en problématiques scientifiques. Le projet Neptune s’est inscrit dans la continuité de ces collaborations.
FFH : Qu’apporte ce travail collaboratif réalisé avec les acteurs scientifiques ?
SE : Par le passé, nos choix étaient empiriques et reposaient exclusivement sur l’expérience des entraineurs. Dorénavant, grâce au projet Neptune nous pourrons confronter nos analyses de terrain avec des données concrètes, tangibles et scientifiques. Cela offre à tous les entraineurs des pistes de lecture qui pourront les aiguiller dans leurs choix d’entrainement. Cela nous permet aussi d’ouvrir un maximum de portes sur des choix et des adaptations possibles et de limiter l’inconnu en maîtrisant mieux certains paramètres de la performance Handisport. Les résultats peuvent également « casser » certaines représentations des nageurs ou expliquer les causes de leurs ressentis. Ce sont aussi des outils permettant d’étoffer les discussions entre les entraineurs nationaux et les entraineurs de clubs car les problématiques analysées dans le projet Neptune animent les entraineurs du quotidien. Nous avons d’ailleurs pensé le projet pour que certains tests puissent être réalisés dans les clubs pour réaliser des feed-backs réguliers avec les nageurs.
FFH : Quels sont les paramètres étudiés au sein du projet Neptune ?
SE : Le projet est dense et exhaustif, ce qui permet de couvrir de nombreux champs biomécaniques de la natation. Il s’articule en quatre axes de travail : la coordination générale du projet de recherche, du stockage et à la transmission des données (axe 1), le tracking vidéo et les différentes stratégies de course des nageurs (axe 2), la coordination motrice / propulsion (axe 3) et les résistances à l’avancement (axe 4).
FFH : Comment se déroule le protocole d’analyse des stratégies de course ? Quelles sont les données recueillies ?
SE : Nous serons, à l’issue du protocole de recherche, en capacité de réaliser des analyses vidéos à partir d’un système mobile (caméra hors de l’eau) qui se veut être le moins invasif possible. Les mesures pourront être réalisées régulièrement sur différents lieux de compétitions. L’idée étant de pouvoir décrypter de manière détaillée les courses des nageurs instantanément durant les compétitions. Il sera par exemple possible d’obtenir des données sur l’ensemble de la prestation du nageur, mètre par mètre, comme le temps de vol, le temps de coulée, la fréquence instantanée ou la variation de fréquence gestuelle. Cela est une réelle plus-value pour permettre à l’entraîneur et au sportif de faire des points d’étapes réguliers sur la manière de construire sa course et les pistes à améliorer.
FFH : Qu’étudiez-vous sur le thème de la coordination motrice ?
SE : Nous analysons l’optimisation du rapport fréquence-vitesse. Le nageur dispose de plusieurs options pour avancer plus vite: augmenter uniquement la fréquence gestuelle, changer sa coordination motrice (réduire les temps morts entre les phases propulsives) ou modifier à la fois sa fréquence et sa coordination. L’objectif est d’identifier le moment de décrochage c’est-à-dire le seuil de fréquence, au-delà duquel l’augmentation de la fréquence gestuelle n’engendre plus d’augmentation de la vitesse de nage, due à une perte de puissance et d’efficacité motrice.
Nous avons un enjeu fort à identifier précisément ce niveau de fréquence optimale chez chacun des nageurs. Cette fréquence de cycles est étudiée sur les bras mais également sur les membres inférieurs. Cela permet d’identifier les pistes de travail, d’évaluer les dissymétries éventuelles liées au handicap et leur évolution en fonction de la fréquence. L’enjeu final reste d’optimiser le rapport cadence vitesse.
FFH : Comment étudiez-vous les résistances à l’avancement ?
SE : Ce travail concerne l’évaluation et le suivi des résistances passives et en nage (impact de la cinématique sur la résistance à l’avancement) ainsi qu’une analyse des stratégies de prise de vague en bassin. Au sein des épreuves handisport le temps de course est plus long que chez les sportifs valides. Il y a donc un réel enjeu à savoir se placer en fonction de sa pathologie et du profil des nageurs positionnés dans les couloirs voisins. L’objectif, à terme, étant de limiter l’impact des résistances et d’identifier des « cartographies » par grandes familles de pathologies.
FFH : Comment ce projet tient-il compte des spécificités de la natation Handisport ?
SE : Certaines problématiques soulevées sont propres à la natation handisport. La technique est fortement individualisée : par exemple le choix stratégique du plongeon est beaucoup plus important chez les nageurs Handisport car l’éventail des possibles est beaucoup plus large que chez les sportifs valides : le nageur doit-il plonger départ assis ? Debout ? Dans l’eau ? De façon statique ou dynamique ? Il n’y a pas de modèle unique. Le choix doit être individualisé en fonction de chaque nageur, de son handicap, de sa singularité.
FFH : Ce projet peut-il apporter une plus-value significative dans la quête de médailles aux Jeux de Paris ?
SE : L’âge médian des nageurs de l’équipe de France Handisport est de 20 ans. Il s’agit donc d’une génération très jeune, encore en construction d’un point de vue physique, moteur, stratégique… à trois ans et demi des Jeux de Paris, il reste du temps pour travailler en prenant en compte les données récoltées au sein du projet.
// Propos recueillis par S.Mauduit
La Fédération Française Handisport remercie chaleureusement l’ensemble des laboratoires et des acteurs scientifiques et sportifs impliqués dans le projet :
– CETAPS de l’Université de Rouen Normandie avec Ludovic Seifert, Brice Guignard, Didier Chollet et Gael Kandem (postdoc)
– LMRS de l’Université de Rouen Normandie avec Vlad Barbu et Nicolas Vergne
– LHSV de l’ENPC avec Rémi Carmigniani, Sébastien Boyaval, Frédérique Larrarte, Charlie Pretot (doctorant), Thomas Brunel (stagiaire) et Baptiste Bolon (ingénieur)
– M2S de l’Université de Rennes 2 avec Nicolas Bideau, Guillaume Nicolas, Benoit Bideau et Erwan Delhaye (doctorant)
– LIRIS de l’Ecole Centrale de Lyon avec Romain Vuillemot, Nicolas Jaquelin (doctorant) et Renaud Jester (postdoc)
– l’APERE de l’Université de Picardie Jules Verne avec Pierre-Marie Lepretre
– le laboratoire Hypoxie & Poumon de l’Université de Paris 13 avec Alexandre Guimard
– l’INSEP avec Thierry Dumain, Thierry Soler et Thomas Cassard
– le LIRIS de l’INSA Lyon avec Stefan Dufner
– le LITIS de l’INSA Rouen avec Romain Herault
– le CRISTAL de l’Université de Lille avec Jérémie Boulanger
– le M2S de l’ENS de Rennes avec Charles Pontonnier
– la Fédération Française de Natation avec Robin Pla et David Simbana
Lancement du projet de recherche Paraperf
haut de page