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Étude sur les lames de saut en longueur

25 février 2021
Depuis plus d’un an, Élodie Doyen a initié son projet de thèse intitulé « comportement dynamique de la prothèse tibiale pour le saut en longueur, optimisation pour une meilleure conversion de l’énergie cinétique à l’impulsion ». Dirigée par Fabien Szmytka et Jean-François Semblat, chercheurs à l’ENSTA Paris-IP Paris (école spécialisée notamment dans le domaine de la mécanique et des matériaux), cette étude s’intègre dans le projet Sciences 2024 qui se donne pour objectif d’améliorer la performance des athlètes pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris.

Comment est né ce projet ?

Fabien Szmytka (FS) : Ce projet est né d’une « extraction » de terrain réalisée par l’École Polytechnique lors de l’évènement Handisport Open Paris qui a accueilli les meilleurs athlètes internationaux en para-athlétisme en 2018. Les chercheurs ont échangé avec les sportifs et les entraineurs pour comprendre leurs besoins et leurs problématiques de terrain. De là, est né un projet étudiant au sein de l’École Polytechnique sur la compréhension générique des différentes phases du saut en longueur (course, élan, appuis et mécanique générale du saut). Christophe Clanet et Caroline Cohen, chercheurs au sein du laboratoire LadHyX de l’École Polytechnique, en dirigeant ce projet étudiant, ont perçu le besoin scientifique d’analyser plus spécifiquement les matériaux de la lame de saut. Puis, dans le cadre du projet « Sciences 2024 », nous avons obtenu une bourse de thèse et un financement de la fondation EDF pour mener à bien ce projet. Nous travaillons aujourd’hui en collaboration avec Olivier Pauly, conseiller-expert de la commission athlétisme Handisport.

 Quels sont les objectifs de cette étude ?

Élodie Doyen (ED) : Les travaux entamés s’intéressent principalement à la prothèse de saut et à son interaction avec l’environnement et l’athlète. L’objectif est de maximiser la performance à partir d’une prothèse donnée tout en minimisant le risque de blessure et en augmentant le confort de saut. Pour cela, nous avons dégagé 3 axes d’études : l’interaction entre la lame et le sol (et notamment les questions de renvoi d’énergie), la gestion de l’emboiture afin de limiter les blessures ainsi que l’étude de la dynamique de saut dans son ensemble.

Pouvez-vous nous expliquer le concept d’énergie cinétique ?

FS : Lors d’un saut en longueur, les athlètes réalisent une course d’élan importante. Plus le sportif court vite, plus il emmagasine de l’énergie cinétique, qui est ensuite « transformée » en distance lors du dernier appel. L’énergie cinétique est donc proportionnelle à la vitesse de course de l’athlète. L’enjeu réside principalement dans la conversion de cette énergie de « vitesse » en énergie « d’impulsion » pour permettre au sportif de sauter loin. Certains paramètres peuvent dissiper inutilement cette énergie tels qu’un angle de saut inadapté, une mauvaise position du corps, les mouvements du corps pendant le saut ou les frottements dans l’emboîture. C’est pourquoi nous cherchons à comprendre comment transférer de façon optimale cette énergie de vitesse à l’impulsion ainsi que le rôle de la prothèse dans cette conversion.

Quelles sont les problématiques de terrain concernant précisément l’interaction lame-sol ?

ED : Les athlètes ajoutent une « réhausse » collée à la semelle de leur prothèse pour améliorer le renvoi d’énergie et aider à « dérouler le pas ». Ce rajout en bout de lame permet de mieux basculer au cours du dernier appel et de convertir ainsi plus de vitesse « en longueur ». Le dernier point d’appui est très intense et si la semelle de la lame est trop « molle », l’athlète perd une partie de sa capacité de rebond. Un renvoi optimisé permet au sportif de réaliser une distance de saut plus importante. Nous analysons donc ce matériau afin d’apporter des connaissances sur le format et la matière optimale de cette « réhausse ».

Comment analysez-vous le rôle et l’impact de cette « réhausse » au cours du saut ?

ED : Nous étudions cette interaction en détail d’un point de vue dynamique. Pour cela, nous filmons de près ce qui se passe au niveau de la semelle grâce à une caméra rapide et nous réalisons des montages en laboratoire pour « mimer » un impact dans des conditions contrôlées. Nous faisons varier les divers paramètres tels que la vitesse de l’athlète, l’angle avec le lequel il impacte le sol au moment de l’impulsion, la technique de saut du sportif, les revêtements de pistes d’athlétisme ou encore les différentes formes et matériaux de la « réhausse ». Nous réalisons également des comparatifs entre les données de laboratoire et celles de terrain et nous étudions la possibilité de produire des « réhausses » par impression 3D.

Comment étudiez-vous la gestion de l’emboiture ?

ED : Notre objectif est de diminuer les risques de blessures. Les frottements dus à l’air qui pénètre dans l’emboiture ainsi que la transpiration sont des causes régulières de blessures. Concevoir un matériau plus étanche à l’air tout en drainant mieux la transpiration à l’intérieur de l’emboiture, est une piste de solution possible.

Pouvez-vous nous présenter l’axe d’étude dynamique du saut dans son ensemble ?

FS : Avec nos collègues de l’École Polytechnique et en collaboration avec l’INSEP, nous avons capté et analysé des images en caméra rapide pour réaliser une étude dynamique du geste sportif dans son ensemble afin d’analyser la technique utilisée en vol, la position du corps (au moment de l’impulsion et dans les deux dernières foulées), l’angle d’impact optimal, les mouvements du corps en suspension, le contact lame-sol, les mouvements d’articulation de la hanche et de l’emboîture ou encore la position du centre de gravité aux différents moments (élan, impulsion, saut). Ces images nous permettent d’observer le schéma global du saut.

Comment intégrez-vous les athlètes dans ce projet ?

ED : Nous échangeons régulièrement avec les sportifs, tels que Dimitri Pavadé. Ils nous expliquent leurs réflexions personnelles, leurs besoins, leurs contraintes et les avantages qu’ils perçoivent de certains de leurs choix sur les performances. Certains sportifs nous ont même prêté d’anciennes prothèses pour que nous puissions les tester. Nous ressentons un réel intérêt pour notre étude. C’est également important qu’ils sachent qu’on travaille pour eux. Pour cela, nous devons bien appréhender ce qu’ils attendent de notre travail.

Quels sont les paramètres à prendre en compte dans le choix du matériau de la lame de saut ?

ED : La rigidité de la lame est un paramètre important à prendre en compte. Une lame très rigide fonctionne comme un parfait ressort. Mais le corps de l’athlète qui reçoit tout « le choc de l’impact », doit pouvoir encaisser cette énergie sinon cela peut générer des traumatismes. Le choix de la lame est donc un compromis entre les capacités physiques de l’athlète et la rigidité de la lame. L’athlète doit réaliser la meilleure performance sans augmenter le risque de blessures. Le confort du sportif est également très important. Lorsque la prothèse du sportif impacte le sol, des vibrations remontent dans la prothèse, puis dans son membre. En fonction de leur intensité, cela peut générer de l’inconfort, voire des douleurs. Nous cherchons à mesurer ces vibrations grâce à une modélisation numérique pour développer des notions objectives de ce phénomène.

Quelle est la plus-value de votre travail sur les performances des sportifs ?

FS : Cela dépend du niveau des sportifs. Pour des athlètes tels que Dimitri, notre objectif est d’apporter un gain de quelques centimètres sur leurs performances. Pour des athlètes plus jeunes, ce travail peut orienter certains choix techniques encore en construction et d’accélérer leur progression. A travers cette étude, nous mettons également nos compétences au service de la discussion entraineur-athlète.

ED :  Les sportifs font des choix par essais-erreurs, là où la science peut prévoir, dans une certaine mesure, les chances de succès des différentes pistes. Nous pouvons donc leur faire gagner du temps. Les tests en laboratoire permettent de balayer et de cartographier tout un champ estimé de possibles, émanant souvent des idées des entraineurs ou des athlètes pour améliorer la performance. Nous pouvons explorer le maximum de pistes, ce qui serait impossible uniquement sur le terrain. Ces données objectives aident ensuite les entraineurs dans leurs choix et leurs orientations.

Rédaction : S. Mauduit//

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