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Profilage physiologique des cyclistes handisport

21 juin 2023
Nous avons interrogé en regards croisés Bryan Le Toquin, doctorant à la Fédération Française Handisport, rattaché à l’Institut de Recherche bio-Médicale et d’Epidémiologie du Sport (IRMES) à l’INSEP et Mathieu Jeanne, entraîneur national de l’équipe de France de cyclisme Handisport depuis 2018.

Pouvez-vous décrire le projet de recherche ?

Bryan Le Toquin (BLT) : ce projet vise à caractériser le profil physiologique de l’ensemble des cyclistes handisport. Nous savons que les réponses physiologiques à l’effort diffèrent en fonction du handicap. L’objectif est donc de définir quels sont les paramètres limitant liés au handicap et quels sont les éléments qui peuvent apporter des informations sur la réponse de l’athlète en lien avec sa classification. Pour cela, nous analysons les adaptations physiologiques de l’athlète en étudiant les systèmes respiratoire, cardio vasculaire et musculaire.

Comment est né ce besoin d’analyse des performances ?

Mathieu Jeanne (MJ) : Il s’agit d’un besoin de terrain exprimé par Thierry Weissland (accompagnateur scientifique) et moi-même. On voulait réaliser des tests de laboratoire qui puissent à la fois nous communiquer des informations sur la performance mais surtout se retranscrire sur le terrain. En effet, nous voulions standardiser et uniformiser les tests : les coureurs passent des tests dans différents centres mais, à chaque fois, sur des protocoles différents et pas toujours adaptés à ce que nous recherchions.

Pouvez-vous décrire le protocole utilisé et les informations qu’il permet de vous apporter ?

MJ : On commence par deux tests de terrain permettant de déterminer la puissance critique (puissance que l’athlète peut maintenir environ 30min). Ces tests sont facilement reproductibles par les athlètes (pendant leur entrainement, sur leur vélo avec le capteur de puissance qu’ils utilisent tous les jours). On enchaine sur un test de laboratoire qui dure de 45 minutes à 1 heure. L’objectif est de pouvoir déterminer, les seuils ventilatoires et lactiques (deux moments au cours de l’effort où la respiration s’accélère de manière disproportionnée) de façon beaucoup plus précise grâce à des paliers beaucoup plus longs. Bryan est en train de travailler sur les corrélations entre le test de laboratoire et les tests de terrain. Tous ces paramètres nous permettent d’orienter l’entrainement. Par exemple, on a des athlètes très endurants mais qui ont des limitations au niveau musculaire. Pour eux, on conserve l’endurance sans la développer, et on va intégrer du travail de musculation. Cela permet d’individualiser l’entrainement en fonction de l’athlète et surtout en fonction des disciplines sur lesquelles ils vont concourir.

BLT : On cherche à utiliser et à avoir une approche avec différents outils. Comme l’a dit Mathieu, on étudie les seuils ventilatoires et les seuils lactiques. On utilise donc par exemple l’oxymétrie (mesure de l’utilisation de l’oxygène par le muscle pendant l’effort), cela nous donne des indications sur la récupération de l’athlète entre différents paliers et différents efforts. On évalue également les systèmes musculaires et cardiovasculaires, afin d’obtenir une vue d’ensemble de la réponse systémique (de l’ensemble du corps) et locale (une partie spécifique du corps) de l’athlète au cours de l’effort.

Quel lien s’est créé avec le médical ?

MJ : les tests sont réalisés avec l’hôpital de Garches et l’équipe de l’ISPC (Institut de Santé Parasport Connecté). Tous les athlètes ont une consultation de contrôle ou de recherche d’optimisation du matériel. Le sujet principal de l’ISPC est de savoir comment prévenir la blessure et la contre-performance. Par exemple, on s’est rendu compte que certains handbikes ne sont pas adaptés à la morphologie des athlètes. Avec l’ergothérapeute et grâce à l’utilisation d’un tapis de force, on voit que certains athlètes ont des différences d’appuis sur leur handbike. Le but est d’optimiser la prise en charge paramédicale et médicale afin d’optimiser le suivi des athlètes.

Evaluez-vous également les paramètres respiratoires ?

BLT : En amont du test, l’athlète a une mesure permettant de connaitre sa capacité pulmonaire. Elle est faite au repos, avant le test, et assis dans le fauteuil ou sur une chaise. Pour les athlètes en handbike, cette mesure est également prise en position spécifique de pratique. Pendant le test, on mesure la ventilation à l’effort avec les masques VO2 qui mesurent la consommation d’oxygène (VO2), le CO2 ventilé et le volume ventilatoire notamment. Cela nous permet d’établir le profil physiologique des athlètes.

MJ : en fonction des différentes limitations respiratoires, il existe différents outils permettant de travailler sur la force inspiratoire, expiratoire, la fonction ou la capacité. Selon les résultats de chacun, on oriente l’athlète sur l’achat d’un outil avec des séances de travail respiratoires, qui prennent 5 à 10 minutes par jour, à travailler en autonomie à la maison. Et il y a des athlètes qu’on a orientés vers la kiné respiratoire. C’est assez nouveau donc voir l’effet et le gain, c’est un peu tôt pour le moment…

En quoi cette nouvelle démarche a pu apporter du dialogue entre les staffs et les athlètes ?

MJ : L’athlète est acteur de ces tests. On fait en sorte qu’il comprenne les tests afin de développer chez lui une culture de la haute performance lui permettant de progresser. Cette démarche permet d’intégrer les staffs et d’aller plus loin dans la recherche de l’amélioration du potentiel de chacun. Il y a certains athlètes qui ont des entraineurs personnels qui ont été impliqués dans le projet. Ils ont eu un retour écrit avec les résultats des tests. Ils ont également eu un e-book avec des exercices à réaliser.

BLT : Pour ma part, il y a eu tout un travail avant les tests pour l’organisation : présentation des tests pour les athlètes et les entraineurs, visioconférences pour impliquer tout le monde, présenter le protocole, les apports attendus… Cela permet d’avoir un objectif commun et partagé, où chacun doit s’impliquer pour la progression de l’athlète. Nous avons aussi eu un rôle de vulgarisation des données scientifiques auprès des athlètes et entraineurs personnels. C’est un travail en commun avec Mathieu, la relation avec les entraineurs se fait plutôt via Mathieu et Flavien (Arnal, entraineur adjoint).

Quelle serait la plus-value de ce regard scientifique sur le prise en charge des athlètes  ?

MJ : La compréhension du fonctionnement de l’organisme permet d’objectiver ce que voit l’œil à l’entrainement. L’œil reste toujours empirique, ces tests permettent d’avoir des réponses aux questions qu’on se pose sur le terrain et inversement, voir les données du laboratoire qui se concrétisent sur le terrain. Ils permettent également de travailler pour la détection de futurs athlètes. Pour que le travail soit complet, il reste à corréler les résultats des tests par rapport au handicap, le travail est en cours par Bryan.

BLT : l’objectivation est le paramètre le plus important. La mise en place de cette démarche avec l’ensemble du groupe permet un suivi longitudinal des athlètes et aussi de constituer une base de données accessibles par les staffs.

Rédaction : M.Astier

 

Staff de l’équipe de France de cyclisme handisport : Mathieu Jeanne (entraineur national), Flavien Arnal (coach assistant), Thierry Weissland (accompagnateur scientifique), Laurent Thirionet (manager équipe de France de cyclisme Handisport), Damien Brégère (mécanicien).

Chercheurs impliqués : Bryan Le Toquin (doctorant FFH), Jean-François Toussaint (directeur de thèse, IRMES), Julien Schipman (encadrant de thèse, IRMES)

 

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