L’héritage de Paris 2024 doit servir les Jeux de 2028, 2032… Et bien plus. « Intégrer l’équipe de France, vivre des championnats du monde, ça permet de découvrir d’autres cultures », valorise le pongiste Lucas Didier, 19 ans et médaillé de bronze individuel classe 9, aux derniers championnats du monde en novembre. Léane Morceau, 4e d 100 m dos au Mondial du mois de juin : « Le haut niveau, c’est un engagement fort, des sacrifices, un mode de vie », appuie du haut de ses 19 printemps la nageuse malvoyante.« Mais ce sont de telles émotions à vivre et à partager avec ses proches, ses coéquipiers, son staff. »
Lucas Didier, Léane Morceau seront peut-être, comme bon nombre d’autre jeunes, les figures de proue des équipes de France handisport de demain. Pour ces deux champions, le rêve d’une qualification aux Jeux Paralympiques de Paris est devenu un objectif. Accessible et crédible, légitime et réalisable. « Avant les Mondiaux, Paris me semblait très loin. Depuis, les perspectives ont changé. » Lucas Didier, entré en handisport en 2017, n’est vraiment devenu actif sur la scène internationale que depuis 2019. « Au départ, on était loin d’une médaille mondiale », rembobine Roza Soposki, en charge de la performance et bien plus encore pour la commission tennis de table à la Fédération Française Handisport. Le travail de détection a été bon parce que nous avions identifié les bons profils mais nous avions des difficultés pour les amener sur les podiums des épreuves majeures. »
Ces nouveaux visages, également incarnés par la médaille de bronze européenne de l’escrimeuse Brianna Vidé (épée catégorie A), est le fruit d’un travail de détection et d’accompagnement mis en place depuis 2012 par la FFH. Et de la structuration d’un parcours d’accès au plus haut niveau. Avec des rendez-vous identifiés, des regroupements plus fréquents, des épreuves telles les Jeux européens de la Jeunesse, offrant des objectifs réguliers. Depuis les Jeux de Londres en 2012, l’instance est passée d’un modèle opportuniste à un modèle fédéral. Celui-ci permet de répondre au plus grand nombre et de fixer une ligne directrice, tout en apportant des réponses propices aux profils « hors norme », souvent plus nombreux dans le champ paralympique.
La relève, à l’image des escrimeurs Luca Platania, Adrien Turkawka ou Enzo Giorgi, est passée par le collectif jeune de la commission escrime, crée par le directeur sportif Alain Febvre depuis 2017. « En 2018, on a lancé une politique de détection », retrace-t-il. « On a d’abord remis l’escrime dans les stages Jeunes à Potentiel via l’installation de référents régionaux. Puis, on a accompagné les meilleurs profils au sein d’un collectif distinct de celui des seniors et entraîné par Guillaume Dubreuil et Hervé Giorgi, deux maîtres d’armes dédiés à ce groupe. C’est tout ce collectif qui a rejoint l’équipe senior avant l’Euro 2022 où nous sommes partis avec une équipe rajeunie qui a décroché huit médailles. »
Après avoir su structurer sa détection et ses filières d’accès à haut niveau (Jeux Nationaux de l’Avenir, stages JAP, collectifs jeunes, collectifs d’accès à la performance…), la FFH, qui peut aussi s’appuyer sur le Centre Fédéral Handisport, sorti de terre en 2011 au Creps de Bordeaux-Aquitaine Talence (Gironde), a apporté des réponses individualisées pour permettre à ses talents de postuler aux podiums internationaux. En atteste, le parcours d’Alexandra Saint-Pierre, arrivée en handisport en 2018. Sacrée championne du monde de tennis de table handisport classe 5 en novembre dernier, la Normande, passée quelques semaines par le collectif d’accès à la performance, n’est entrée en équipe de France qu’en janvier 2022. « Ce collectif, né au retour des Jeux de Tokyo et pris en charge par Stéphane Molliens a pour vocation d’augmenter le niveau français. Il aide ces athlètes à franchir le dernier le palier qui les sépare des plus hautes sphères mondiales et paralympiques », synthétise Roza Soposki. Un lien étroit est aussi tissé entre les entraîneurs personnels et nationaux. Cela vaut dans toutes les disciplines.
Pour chaque sportive et sportif, un travail a été effectué sur son environnement, sur sa cellule locale d’entraînement. Il a fallu identifier ses besoins, par rapport à d’éventuels partenaires d’entraînement spécifiques, par rapport à ses capacités, à sa pathologie et à son projet socio-professionnel. « Pour Lucas Didier, chiropracteur en formation et Clément Berthier, en école d’ingénieur, la réflexion s’est construite depuis le projet socio-professionnel », développe Roza Soposki. De même Léane Morceau bénéficie d’un aménagement au sein de son école de kiné à Limoges afin de mener son double projet dans les meilleures conditions. « L’arrivée des contrats Préparation Olympique, comme Sébastien Barrois (escrime), Roza Soposki (tennis de table) ou encore Mathieu Jeanne (cyclisme), ont été des accélérateurs. Ce sont des personnes disponibles pour encadrer, accompagner et faire le lien avec les clubs locaux et les comités régionaux », développe Sami El Gueddari, responsable d’accès des filières d’accès à la performance. « Ces personnes ressources ont eu du temps pour mettre en place un suivi spécifique. »
La hausse des moyens, financiers et humains, générée notamment par les apports de l’Agence Nationale du Sport, favorise inéluctablement l’arrivée de ces jeunes talents sur le devant de la scène continentale et planétaire. Les Français, qui possèdent des bastions d’entraînement définis (Montrodat et Nantes pour le tennis de table, Limoges pour la natation…) sont désormais encadrés par les staffs fédéraux sur les opens internationaux, les circuits de coupe du monde. Des épreuves auxquelles ils ne peuvent plus s’inscrire librement. « L’exigence accrue mise en place depuis environ dix ans par Pierrick Giraudeau sur les chemins de sélection, porte ses fruits aujourd’hui, » explique Sami El Gueddari. « Elle n’est plus perçue comme une punition mais comme une ambition. »
Le cercle est vertueux. Alexandra Saint-Pierre, paraplégique depuis un accident de la circulation survenu en 2017, est intégrée au cercle haute-performance depuis son titre mondial. Elle va ainsi bénéficier d’un suivi personnalisé complet, avec notamment un programme diététique et de préparation physique, renforcés, « deux aspects sur lesquels je ressens le besoin de progresser ».
Une médaille européenne, mondiale et paralympique est la conséquence d’une somme de détails. La médiatisation y contribue. Les têtes d’affiche comme le paracycliste Alexandre Léauté, le nageur Ugo Didier, pour ne citer qu’eux, sont inspirants. « Ces champions sont des exemples identifiés par les plus jeunes en situation de handicap », apprécie Sami El Gueddari. « Aujourd’hui, ils citent comme référence 75 % d’athlètes handisports et 25 % de valides. »
Les codes du haut niveau sont également mieux identifiés dans les territoires, où certains sports comme l’escrime, ont su reprendre place. Les nombreux échanges permis par les stages Jeunes à Potentiel régionaux comme nationaux entre les chargés de développement des comités territoriaux, les référents régionaux, les entraîneurs locaux et les entraîneurs nationaux. « Les comités sont plus aguerris, plus informés et formés sur les prérequis au haut niveau », détaille Sami El Gueddari.« Ils ont conscience des enjeux et de ce que cela induit en termes de préparation. A l’image de Camille Guillou, en Bretagne Orlanne Vasnier dans les Pays de la Loire ou Romain Didio en Auvergne Rhône-Alpes… les référents et techniciens régionaux sont très au fait de ce qu’il faut mettre en œuvre pour y arriver. »
La FFH, qui se nourrit aussi de l’expérience et du regard des techniciens issus du monde valide, a trouvé une vraie relève et peut se montrer optimiste pour les Jeux à venir mais elle doit pérenniser, développer et continuer de faire évoluer ses dispositifs pour regarder l’avenir avec ambition et gourmandise.
Rédaction : J. Soyer
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